Deux tactiques pour un seul débat. C’est un peu l’impression qu’ont donné les prestations de François Fillon et d’Alain Juppé lors du quatrième et ultime débat de la primaire de la droite et du centre.
Ce débat, très attendu, fut technique, précis et de haut niveau, avec beaucoup plus d’argumentation que d’attaques. Les deux candidats à la Présidence de la République ont ainsi pu débattre, dans une ambiance tendue mais très cordiale de l’éducation, de la politique étrangère de la France, de la santé, de la sécurité, du temps de travail, de l’identité, de l’IVG, de l’adoption par les couples homosexuels, du nombre de fonctionnaires et de leur méthode de gouvernement. Ce fut aussi un vrai débat de clarification, qui a permis aux deux prétendants à l’Élysée de préparer le rassemblement du second tour en mettant fin aux violentes attaques du début de la semaine.
Alain Juppé et François Fillon ont ainsi chacun pu présenter devant plus de 8,5 millions de téléspectateurs leurs programmes, qui en réalité sont proches, du moins sur l’économie. Les variables sont surtout l’ampleur des réformes, leur agenda et la méthode pour les imposer, François Fillon étant selon ses propres mots « le plus radical » tandis qu’Alain Juppé estime être « le plus réaliste ».
Si leurs programmes sont proches, en revanche les deux candidats ont opté pour des stratégies différentes pour appréhender ce débat. De manière globale, les deux candidats ont tous deux réussi leur débat, l’un n’ayant rien à perdre compte tenu de son retard dans les urnes, l’autre n’ayant qu’à maintenir une stratégie qui a fonctionné pour le premier tour. Ainsi, si les sondages ont donné François Fillon vainqueur de ce débat, la réalité est plus nuancée et s’approche plus d’un match nul tant les enjeux étaient différents.
François Fillon, fort de son avance du premier tour, a gardé quasiment le même angle d’attaque que lors des trois autres débats, c’est-à-dire peu d’attaques frontales afin de présenter directement aux français son programme très droitier, le tout dans une attitude très digne illustrant sa stature d’homme d’État. Assumant l’image de « bulldozer » que de nombreux médias lui donnent, François Fillon a défendu de manière très argumentée et précise son programme « radical », qu’il juge nécessaire pour redresser une France dont la situation serait selon lui « grave ». Préparant déjà le travail de rassemblement en vue de l’après-second tour, François Fillon s’est montré très peu agressif envers Alain Juppé, allant même jusqu’à lui souffler certains chiffres lorsqu’Alain Juppé semblait hésiter. François Fillon a ainsi réussi à donner une impression de précision, de cohérence et de détermination sans faille. Le contre-point de cette stratégie étant peut-être de sembler aussi assez froid à côté d’un Alain Juppé en opération séduction, voire très (trop?) sûr de lui. En revanche, si François Fillon a épargné son opposant politique, on ne peut en dire autant des journalistes. En effet, comme lors du troisième débat, François Fillon s’est montré très agressif envers les journalistes, qu’il a accusés à plusieurs reprises de faire des « caricatures » et de représenter la « pensée unique« .
Alain Juppé n’avait rien à perdre, compte tenu de son retard au premier tour, mais tout à gagner lors de ce débat. Changeant complètement de stratégie de communication par rapport aux débats précédents, Alain Juppé a décidé d’être beaucoup plus dynamique et de sortir de la position de retrait digne qu’il avait maintenue tout au long de la campagne du premier tour, jouissant alors à l’époque d’une très forte avance dans les sondages. En revanche, dans le fond de son discours, son positionnement de « rassembleur » n’a sans surprise pas évolué. Ce qui a cependant évolué, ce sont les arguments phares mis en avant pour défendre son programme: selon lui, le sien est le plus réaliste et le plus à même de réformer la France sans pour autant la déstabiliser. Sur la forme, face à un François Fillon assez prudent car cherchant à ne pas se compromettre, Alain Juppé a réussi à paraitre moins arrogant, moins froid et surtout moins technocrate que lors des débats précédents. Malgré l’avance électorale de François Fillon dimanche, Alain Juppé a réussi à réellement peser dans le débat, et même à imposer ses thématiques, allant jusqu’à jouer le rôle du journaliste et à poser directement des questions à François Fillon pour montrer ses différences avec lui. Alain Juppé est ainsi apparu plus combatif que François Fillon, sans pour autant être agressif, et a montré que malgré son retard, il était toujours dans la course. Bien que moins précis et moins technique que François Fillon, Alain Juppé a surtout donné l’impression d’être à l’aise et de savourer ce moment, comme s’il savait qu‘il pourrait être son dernier « grand » moment de politique tant rattraper l’avance de François Fillon semble un défi de taille. C’est sûrement ce qui a du lui venir à l’esprit, lorsque, questionné sur ses éventuels regrets lors de cette campagne, Alain Juppé a d’abord indiqué en avoir « beaucoup », avant de se reprendre et de déclarer « oh non, en fait pas tellement ».
Quoi qu’il en soit, en attendant le verdict final de dimanche, vous pouvez consulter ici les résultats de notre fact-checking en direct ainsi que nos sources: primaire-débat-final.