Article de Renaud DUTREIL publié dans les Echos en date du 18 février :
http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-153976-en-finir-avec-les-politiciens-carrieristes-1201271.php
Pour l’ancien ministre de Jacques Chirac, il s’est installé en France « un régime d’intermittence, où les vainqueurs d’un jour, vaincus le lendemain, reviennent le surlendemain. » Aujourd’hui « chairman » de FTI Consulting France, Renaud Dutreil propose d’en finir avec ce système. Selon lui, il faut limiter les carrières politiques et puiser dans les forces vives du pays.
La France, à la différence de plusieurs pays de l’OCDE, est politico-dépendante : plus qu’ailleurs, une part essentielle de l’économie, donc de l’activité des Français, dépend de la façon dont le pays est administré. Depuis plusieurs décennies, les Français s’estiment si mal administrés qu’ils n’ont jamais voulu reconduire un attelage Président-Majorité au pouvoir. Ils ont constamment montré la sortie à l’équipe en place.
Le dernier Président disposant d’une majorité parlementaire et d’un gouvernement à sa main à être reconduit par les Français fut le Général De Gaulle en 1965. Il y a plus de 50 ans. François Mitterrand en 1988 et Jacques Chirac en 2002 ont été réélus mais comme opposants à leurs chefs de Gouvernement, Jacques Chirac et Lionel Jospin, dans des cohabitations conflictuelles. Valéry Giscard d’Estaing et Nicolas Sarkozy, élus dans une posture de rupture avec la droite plus que de continuité, ont été sanctionnés après un seul mandat.
Cette situation est inédite en Europe. Bien que l’Allemagne et la Grande Bretagne aient connu les mêmes crises économiques que la France, plusieurs Premiers ministres britanniques ou allemands ont été reconduits aux affaires par les électeurs. Pas en France. Pas depuis cinquante ans. Le sondage réalisé par FTI Consulting et « Les Echos » montre que le phénomène a atteint son paroxysme : maintenant, même les électeurs du camp au pouvoir sont majoritairement insatisfaits.
L’éternel retour des battus
La principale raison de ce désaveu permanent est la peine de la classe politique française à vouloir et à obtenir les résultats attendus ou promis. Les mesures à mettre en œuvre sont connues. Mais elles ne sont pas prises et les difficultés s’amoncellent. De cet échec durable est né un régime d’intermittence, où les vainqueurs d’un jour, vaincus le lendemain, sont sûrs d’être les revenants du surlendemain.
Les urnes françaises devraient fonctionner comme le mode de sélection de dirigeants puisés dans les forces vives du pays, aptes à gouverner le pays et à résoudre ses problèmes, disposés à laisser la place à d’autres. Elles fonctionnent comme un siphon, qui chasse et ramène toujours les mêmes. Les institutions de la Vème République ne sont pas en cause. Les hommes et les femmes le sont
L’une des raisons de cet éternel retour des mêmes tient au fait qu’en France, la politique est devenue une carrière à vie. Nos dirigeants nationaux entrent en politique jeunes et s’en retirent souvent plus tard que dans la plupart des professions. Ceux qui sont à la base de la pyramide – élus locaux, députés du rang – font parfois un passage bref en politique. Ceux qui viennent de la société civile ressortent très vite, avec le sentiment d’avoir été utilisés.
Des vétérans à l’affût
En revanche, ceux qui sont installés au sommet de la hiérarchie – et qui ont vocation à être Président, Premier ministre, ministre, donc à diriger le pays – quittent rarement le métier. Lorsqu’ils sont battus à une élection, une autre élection ou leur parti leur offre un refuge, qui leur permet de continuer à vivre d’indemnités publiques et à guetter le retour du balancier.
Il est probable qu’aux prochaines élections présidentielles de 2017, la plupart des candidats seront des vétérans de la politique, qui n’auront connu ni la vie d’un cadre du secteur public ou privé, ni celle d’un artisan ou d’un ouvrier, ni celle d’un entrepreneur, ni a fortiori celle d’un demandeur d’emploi. Bien sûr, cette classe politique a le sentiment de connaître les Français.
Elle cultive la « proximité » : les visites d’entreprises ou d’écoles, les débats avec des citoyens, les propos familiers, les reportages sur la vie quotidienne des dirigeants, retransmis par les médias, montrent des hommes et des femmes ouverts au dialogue et à l’écoute. Personne ne voit jamais l’uniforme du politicien de carrière. Il est invisible. Parce qu’il est mental.
Faire respirer la démocratie
Il serait sain de limiter les carrières politiques continues. Quinze ans devraient être un maximum pour des responsabilités nationales. L’engagement au service de son pays ne devrait pas être une carrière, avec son cycle régulier de cinq ans aux affaires, cinq ans dans l’opposition, jusqu’à l’épuisement.
Ceux qui disent qu’il faut beaucoup d’expérience pour diriger un pays devraient s’étonner que nos dirigeants si expérimentés n’y arrivent toujours pas. Ils devraient se dire que d’autres, moins expérimentés, mais plus résolus, plus pragmatiques, plus passagers, pourraient peut-être y arriver. La démocratie française pourrait ainsi respirer et le pays être gouverné.
Renaud Dutreil, « chairman » de FTI Consulting France et ancien ministre de Jacques Chirac